jeudi 8 juillet 2010

Petite enfance : le choix d'un accueil au rabais


Point de vue
Petite enfance : le choix d'un accueil au rabais
LE MONDE | 22.06.10 | 15h59 • Mis à jour le 22.06.10 | 18h09

vec la parution, le 7 juin, du décret "relatif aux établissements et services d'accueil des enfants de moins de 6 ans", le gouvernement poursuit son entreprise de déréglementation et de déqualification du secteur de la petite enfance au moment même où de nombreuses voix se font entendre pour souligner l'enjeu éducatif, social et même économique de l'accueil des jeunes enfants dès les premières années de la vie.

Le gouvernement est donc resté sourd au vaste mouvement de protestation de ces derniers mois, inédit dans ce secteur, qui a rassemblé des professionnels (puéricultrices, auxiliaires de puériculture, éducateurs et éducatrices de jeunes enfants, psychologues...), des élus, des représentants d'associations professionnelles et des collectivités, des chercheurs et des parents. Des dizaines de milliers de personnes se sont ainsi mobilisées, dans toute la France, avec une certaine idée de l'intérêt des enfants et de l'intérêt général, pour tenter d'enrayer la détérioration programmée des conditions de travail et d'accueil dans les établissements.

Après les déclarations tonitruantes, aujourd'hui enterrées, du président de la République sur l'instauration d'un droit de garde opposable, la baisse des normes d'accueil est donc le moyen paresseux et pernicieux qu'a trouvé le gouvernement pour multiplier des places, comme on multiplie les petits pains, des places au rabais qui introduisent la logique "low cost" dans les établissements d'accueil des jeunes enfants.

Ce décret va en effet permettre un accueil en surnombre des enfants jusqu'à 120 % de la capacité de l'établissement. Ce surbooking ne manquera pas d'accentuer la pression sur les personnels, tandis que les enfants seront priés de se serrer comme des sardines. De plus, plutôt que de se donner véritablement les moyens de répondre à l'absurde pénurie de personnels formés aux différents métiers de la petite enfance, le décret revoit les exigences de qualification des personnels à la baisse (la part obligatoire de personnels qualifiés dans les crèches et haltes-garderies passera de 50 % à 40 %).

Enfin, de nouvelles structures, appelées "jardins d'éveil", sont créées : ouvertes aux enfants entre 2 et 4 ans, elles offriront un encadrement moindre que les crèches (1 adulte pour 12 enfants contre 1 adulte pour 8 enfants) et elles seront payantes, alors que les écoles maternelles sont gratuites.

Mais ce décret n'est pas un acte isolé, d'autres mesures gouvernementales procèdent de cette même logique d'abaissement des normes de qualité. L'accueil à domicile n'est pas en reste. Citons la décision prise en décembre 2008 (loi sur le financement de la Sécurité sociale pour 2009) de permettre aux assistantes maternelles d'accueillir simultanément à leur domicile jusqu'à quatre enfants et non plus trois : la sécurité des enfants est là clairement mise à mal, notamment lors des déplacements à l'extérieur en milieu urbain. Ou encore la loi du 27 mai portant création de maisons d'assistantes maternelles, qui permet à plusieurs assistantes maternelles (jusqu'à quatre), d'accueillir jusqu'à seize enfants, sans projet collectif ni encadrement spécifique, à la différence de tous les modes d'accueil collectif existants.

Le tableau ne serait pas complet si on n'y ajoutait le refus du gouvernement, en janvier 2010, d'exclure le secteur de la petite enfance du champ de la directive européenne sur les services, qui doit être transposée dans le droit national pour instaurer une mise en concurrence dans le domaine des services. Là aussi, le gouvernement est resté sourd à la vaste mobilisation des professionnels, des associations et des collectivités locales qui demandaient de protéger le secteur de la petite enfance, au même titre que le service d'éducation.

L'ensemble de ces mesures concrétise la volonté gouvernementale de créer des places au rabais, en sacrifiant la qualité de l'accueil et en transférant une partie de la charge financière aux familles et aux collectivités locales. Elles procèdent d'une conception réduisant l'accueil des jeunes enfants à une simple garde.

Une autre approche de la politique de la petite enfance est pourtant nécessaire. Car l'enjeu est éducatif, social, mais aussi économique. De nombreuses études, comme celle du Prix Nobel James Heckman, sont venues confirmer que les capacités d'un individu à s'insérer socialement et à acquérir une qualification sont largement déterminées par sa petite enfance, et que les actions d'éveil menées dans les crèches collectives permettent de lutter contre les inégalités sociales.

De plus, l'absence de solution satisfaisante d'accueil des enfants est un facteur important d'éloignement des femmes du marché du travail ; elle est même destructrice d'emplois. Les chercheurs Eric Maurin et Delphine Roy estiment que 100 000 places de crèche permettent, à l'inverse, de préserver 15 000 emplois, et concluent que la création de places en crèche est économiquement rentable.

Une autre politique de la petite enfance est possible. Des collectivités locales ont fait le choix d'un investissement massif en faveur du développement de l'offre d'accueil sans rogner sur la qualité.

Ainsi, à Paris, en dépit des contraintes financières et foncières, plus de 10 000 places seront créées sur la période 2001-2014, portant le niveau d'accueil en structure collective à plus de 50 % des enfants de moins de 3 ans (contre 10 % au niveau national). Des mesures sont également prises pour développer un accueil à domicile de qualité.

De plus, la Ville de Paris a pris l'initiative en 2008 d'une convention tripartite avec la région et l'académie de Paris pour augmenter le nombre de personnels formés aux métiers de la petite enfance, faciliter les recrutements et contribuer à sortir de cette situation paradoxale de déficit de personnels formés alors que le chômage fait rage, en particulier chez les jeunes.

Au niveau national, les besoins en matière d'accueil des enfants de moins de 3 ans sont évalués à une fourchette comprise entre 300 000 et 500 000 places. Nous appelons donc à un véritable "plan Marshall" de développement de l'accueil collectif, auquel une nouvelle majorité devrait s'atteler dès 2012, pour initier d'autres choix que ceux pris actuellement.

Nous proposons une politique progressiste qui garantit l'égalité femmes-hommes, car aujourd'hui ce sont les femmes qui cessent leur activité professionnelle lorsqu'il n'y a pas de solution d'accueil pour leur enfant, une politique qui assure l'égalité des chances pour les enfants, la période de la prime enfance étant déterminante pour leur développement.

De même, l'expérience de certains pays scandinaves doit nous inspirer : la petite enfance y est considérée comme la première marche du système éducatif. Ce système qui investit le plus dans l'éducation dès la petite enfance est celui qui bénéficie des meilleures comparaisons internationales tout au long de la chaîne éducative.

Il serait temps que nos dirigeants politiques nationaux suivent ces exemples. Nous n'en prenons hélas pas le chemin. Il appartient donc aux forces progressistes de notre pays de proposer une alternative crédible, avec la perspective pour la prochaine législature d'un véritable service public de la petite enfance.


Christophe Najdovski, adjoint au maire de Paris (Les Verts)
Article paru dans l'édition du 23.06.10


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire